Et que se passe t-il donc pour la princesse Aimée ? La suite...
Cette année-là, il avait enfin eu le droit d’aller à la foire mensuelle de Bigirs comme tous ceux de son clan.
Lorsque ses yeux s’étaient posés par hasard sur l’ovale parfait du visage de la princesse qui prenait le soleil au balcon, son cœur avait manqué plusieurs battements et lui fut ravi.
Dès lors, chaque occasion, chaque excuse était bonne pour se rendre sur la grande place de la capitale bigirssienne dans l’espoir de revoir la belle enfant.
Année après année, le jeune garçon, puis jeune homme, passa la moindre minute de ses loisirs à guetter l’apparition de sa belle.
D’année en année, l’amour qui le consumait devenait plus fort mais aussi plus désespéré car il savait que jamais le roi Lobe ne consentirait à lui donner la main de sa fille chérie.
Oh, riche il l’était assurément, bien né tout autant, en ligne directe d’une longue lignée royale mais il venait d’un autre monde, presque d’une autre planète !
Il venait d’un monde où le silence était roi.
Il était un Nohirs et il était le petit fils aimé de la reine Dèf, souveraine de la tristement célèbre Île du Silence.
Aucun moyen de transport, ni calèche, ni bateau ne pouvait réduire la distance qui séparait ces deux jeunes gens car elle était culturelle. Seul le changement de mentalité, l’ouverture d’esprit, la tolérance et le respect pourrait les réunir un jour. Oh, tolérants, ouverts d’esprit et respectueux, ils l’étaient tous deux mais pas les sociétés dans lesquelles ils vivaient.
Enfin pas dans le bon royaume de Bigirs où la pureté de la race et la traque de la moindre imperfection étaient les occupations favorites et encouragées par les lois !
Le Prince Mime de l’Île du Silence était à coup sûr le pire mari que le roi Lobe puisse imaginer pour sa tendre fille !
A cette idée, le désespoir étreignait le cœur de Mime.
Toutefois lorsque la princesse commença à parler, l’espoir se mit à grandir.
Sourde ? La princesse Aimée était sourde ?
Le prince n’en croyait pas ses oreilles !
Comment croire que cette délicieuse jeune femme qui s’exprimait si facilement, qui chantait comme un rossignol, qui dansait comme un ange puisse être sourde profonde ? Jamais il n’avait imaginé pareille chose et surtout pareil bonheur !
Car c’était un bonheur, une chance de pouvoir construire un avenir avec l’élue de son cœur.
Il entendait couler les mots de la bouche d’Aimée et imaginait sans mal les difficultés qu’elle avait connues, les doutes qu’elle nourrissait, la honte qu’elle ressentait. Ayant toujours vécu avec les sourds de Bigirs, il avait entendu leurs tristes histoires et partagé leurs larmes. Il se faisait une idée assez précise de la douleur qu’ils avaient du ressentir.
Il pouvait donc sans mal comprendre Aimée. Et son désir le plus cher était de lui prouver sa valeur, de lui donner confiance en elle et de lui exprimer toute la fierté qu’elle était en droit d’éprouver pour les prodiges dont elle était capable.
Au fur et à mesure que les confidences se succédaient, Mime décida d’enseigner sa langue maternelle, la « èlèsèf » à Aimée, de lui présenter sa famille et surtout sa bonne grand-mère Dèf. Ensemble, ils aplaniraient la route de la princesse jusqu’au bonheur.
Il était plein de joie et d’espoir.
Lorsqu’Aimée se tut, Mime prit le relais et lui parla des merveilles de son monde. Délaissant le langage parlé si pauvre en expression, en émotion, pour elle il signa les mots « amour » « belle » et « douce ».
Il mima ses aventures d’enfant et connut une joie sans limite à la voir sourire, puis rire et enfin applaudir.
Ils passèrent ainsi un moment magique, les yeux dans les yeux, échangeant avec leurs mains, avec leurs visages, leurs souvenirs et leurs rêves.
Lorsqu’une aube rose vint remplacer la nuit, l’heure de se séparer arriva.
La tête pleine d’images, la princesse semblait flotter sur un nuage.
La Grande Oreille Cosmique avait entendu ses supplications et lui avait envoyé une aide des plus précieuses.
Maintenant qu’elle avait rencontré le prince Mime, si semblable à celui qui hantait ses nuits, il lui était impossible d'épouser l’infâme professeur.
Elle parlerait à ses parents et comme son bonheur était plus important à leurs yeux que tout, ils lui donneraient leur bénédiction et elle pourrait épouser le prince de son cœur.
Sa vie serait enfin faite de rires, de bonheur et de gens qui la comprennent.
Persuadés de se revoir très vite, les jeunes gens se séparèrent sur un long et tendre baiser.
Ah que la jeunesse est naïve ! Que la jeunesse est pleine d’espoir !
Avec une impatience folle, Aimée attendit le réveil de ses royaux parents. Sitôt la reine levée, elle se précipita dans leur chambre et, encore sous le coup de l’émotion, leur raconta l’histoire de sa rencontre avec le charmant prince.
Fébrile, les yeux brillants, elle leur annonça son désir d’épouser le jeune homme au plus vite.
Elle était convaincue que son bonheur était le seul but de ses parents aimants et ne doutait pas une seule seconde de leur réponse.
Oh combien, elle se trompait ! Lorsqu’elle eut fini son récit, le roi Lobe, vert de rage, entra dans une colère plus noire que jamais.
Sa fille chérie, princesse de Bigirs, avec un vagabond de l’Île du Silence ? Jamais ! Qu’il soit prince ou même empereur, jamais de son vivant, il n’accepterait une telle union. Ses cris résonnaient avec force, ses bras faisaient des moulinets et une haine féroce brûlait dans son regard.